Avenir de l’Audiovisuel Public :
la holding de tous les dangers

En 2022, le Président-candidat Macron a décidé, pour des raisons électoralistes, de supprimer la Contribution à l’Audiovisuel Public. Dans la plus grande improvisation, une solution transitoire de financement sur une fraction de la TVA a été mise en place pour deux ans, dans l’attente de pouvoir définir un mode de financement définitif. Deux ans plus tard, le danger de la budgétisation pure et simple du financement de l’Audiovisuel Public n’est toujours pas écarté, laissant les entreprises publiques dans la plus grande incertitude menaçant l’indépendance et la pérennité même de France Télévisions, Radio France, l’institut National de l’Audiovisuel et France Médias Monde.

A l’automne 2023, un plan pluriannuel de financement était arrêté par le ministère de la Culture. Si cela était loin de répondre aux besoins de financement de nos activités pour faire face aux enjeux du secteur, cela constituait malgré tout un début de visibilité. Et puis patatras, nouvelle ministre, nouvelles coupes dans le budget 2023 et retour du projet de holding. Une inconstance de l’État particulièrement préoccupante pour l’Audiovisuel Public et ses salariés et qui interroge : Que vaut un engagement de l’État ?

Depuis le début de l’année 2024, la nouvelle ministre de la Culture ne cesse d’annoncer une réforme de l’Audiovisuel Public en s’appuyant sur le projet de proposition de loi du sénateur Lafon comme point de départ. Mais pour aller où exactement ? Une holding ? Une fusion comme elle l’a récemment fait entendre ? Quelle est la vision de la ministre ? S’agit-il uniquement de trouver un compromis entre les différentes positions des députés et des sénateurs du camp présidentiel et de LR en reprenant certaines propositions de leurs rapport parlementaires respectifs ? Peut-être…

Nous sommes déjà en mars 2024, toujours pas de texte à l’agenda législatif, ce qui est pour le moins atypique lorsqu’on a l’ambition de faire adopter trois textes législatifs en un temps record et dans un ordre précis : une loi sur l’audiovisuel public, une loi modificative de la LOLF (la Loi Organique relative aux Lois de Finances qui déterminent la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État) et le Projet de Loi de Finances 2025 dont le débat démarrera comme chaque année en octobre de cette année.

Un calendrier extrêmement restreint, avec des snipers au services des lobbys du privé dans tous les coins, sans majorité présidentielle claire à l’Assemblée Nationale, on peut le dire, nous sommes dans le flou total pour l’avenir de nos entreprises.

Une holding, pour quoi faire ?

Une holding on sait ce que c’est dans l’Audiovisuel Public, c’est du vécu à France Télévisions : une structure coûteuse, financée sur le dos des filiales, des injonctions à agir et pour ce faire une mise en concurrence des filiales entre elles. Et quand l’une d’entre elles a besoin d’argent, la holding lui accorde parfois des prêts avec un taux d’intérêt à la clef. Belle perspective pour nos entreprises !

Pourtant l’audiovisuel public se porte bien. France Télévisions est le premier groupe audiovisuel, Radio France leader sur la radio et FMM rayonne à travers le monde.

Ces entreprises publiques qui sont actuellement en train de définir leurs orientations stratégiques. Pour certaines, leur présentation devant les CSE sont reportées de mois en mois du fait de l’incertitude de l’avenir et pour cause ! En effet, la holding, si elle se met en place, définira elle-même les orientations stratégiques des entreprises. Est-il donc urgent d’attendre ?

Il est surtout urgent de répondre aux nombreuses questions des personnels qui restent à ce jour sans réponses :

  • Quid du travail engagé sur la définition en cours des projets stratégiques si un nouveau plan doit être défini en 2025 au niveau d’une holding ?
  • Quid des projets de COM (Contrats d’objectifs et de moyens) dont les discussions sont toujours en cours et promis pour l’instant à l’été ? Ne seront-ils conclus que pour six mois ?
  • Quid de l’avenir des réseaux France Bleu et France 3 dans le nouveau groupe ? Seront-ils fusionnés, comme le préconisent les sénateurs LR, dans une filiale France Médias Régions créée ex-nihilo mettant en danger socio-économique plus de 4 500 salariés avec la perte de leur couverture conventionnelle ? Car les intentions sont claires pour les sénateurs, « cette fusion de France 3 et France Bleu devrait également permettre de repenser les méthodes de travail en adoptant des modes de production plus souples et réactifs. »
  • Quid de l’avenir et des perspectives pour les 6 délégations régionales de l’Ina implantées à Lille/Tourcoing, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Lyon, Rennes, et plus largement quelle politique de l’audiovisuel public en régions ?
  • Quid de la pérennité des moyens internes de fabrication de nos entreprises ? Sont-ils condamnés à la filialisation comme le propose le rapport sénatorial au travers de la création d’une filiale dédiée ? Ce serait là aussi une perte de couverture conventionnelle pour les salariés concernés et une véritable porte ouverte à la standardisation des contenus, à la perte de créativité avec une ouverture massive au secteur privé pour des contenus produits aujourd’hui en interne, en particulier à Radio France. Un renoncement aux missions de service public dévolues à chacune de nos entreprises.
  • Quid de la « création d’une newsroom commune », réunissant l’ensemble des journalistes de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde pour, notamment, supprimer les doublons ? Dans une nouvelle filiale ? Comment cela peut-il s’articuler avec une filiale de la proximité ?
  • Quid de la suppression des parrainages sur Radio France et après 20h sur France Télévisions ? Un montant que nous estimons à 120M€ par an et qui devrait être compensé « par les mutualisations attendues dans le cadre d’une réforme de l’organisation du service public. » ajoutent les sénateurs
  • Quid de l’introduction de l’intelligence artificielle dans l’audiovisuel public, de l’évaluation de son impact sur les métiers, sur l’emploi, sur les publics ? Notamment à l’INA où ce déploiement est envisagé « sur tous les métiers », avec « de nombreux outils déjà bien présents (…) certains encore au stade expérimental, d’autres en intégration, quelques-uns en production », mais sans consultation à ce jour des représentants des salariés.

ASAP* la BBC à la française ?

Cerise sur le gâteau, le rapport sénatorial propose la mise en place d’un organisme dit « indépendant », une Autorité Supérieure de l’Audiovisuel Public (Asap), afin « d’évaluer les besoins et suivre les financements ». Une ASAP (quelle imagination !) présidée par un magistrat de la Cour des comptes et quatre autres personnalités qualifiées nommées par les commissions chargées des Finances et de la Culture de l’Assemblée nationale et du Sénat. On fait mieux en matière d’indépendance, sans parler de la question du mode de financement qui n’est toujours pas réglée avec le risque d’une budgétisation qui remettra fortement en cause l’indépendance du service public et la stabilité de son financement. De quoi verser rapidement dans le contrôle politique via le cordon de la bourse.

Rappelons également que la BBC semble servir de référence aux députés LR qui soutiennent la réforme et dispose, pour un pays à la population équivalente, d’un budget 50 % supérieur à celui de l’audiovisuel public français, grâce à leur redevance et à une capacité de détention des droits sur les œuvres qu’ils produisent, ce qui n’est pas le cas en France. Et cela alors même que la BBC a subi des réductions de budget et de personnel lors de réformes de ces dernières années.

Une fois de plus, les salariés des entreprises de l’Audiovisuel Public français risquent de faire les frais des atermoiements de l’État, au gré des changements de personnalités au sein du gouvernement.

Les transferts potentiels de salariés dans diverses filiales d’une future holding inquiètent au plus haut point. Ce serait un véritable saccage social au nom de l’idéologie libérale (déjà imposée depuis des années avec plus de 2 000 emplois supprimés), quitte à tuer complètement l’attractivité du service public déjà bien mal en point à ce sujet. Ce mécano industriel fragiliserait les salariés et les plongerait dans une très forte insécurité socio-économique. Mais peut-être est-ce le but recherché alors que les enjeux démocratiques sont cruciaux.

Nous alertons les députés et sénateurs qui auront la responsabilité de définir l’Audiovisuel Public de demain. Déclarer qu’un Audiovisuel Public puissant est une nécessité ne doit pas être un faux nez pour en rationaliser les moyens, surtout face aux coups de boutoir idéologiques des médias privés à la solde de milliardaires parfois bien mal intentionnés vis-à-vis du pacte social de notre pays…

La CGT ne laissera pas faire un tel saccage social dans l’Audiovisuel Public. Elle appelle d’ores et déjà les salariés à la plus grande vigilance face à un risque majeur de perte de leurs acquis conventionnels et de remise en cause de leurs missions. Elle leur demande de se tenir prêts à un conflit social de grande ampleur à quelques mois des Jeux Olympiques de Paris.

Paris, le 26 mars 2024

ASAP : As Soon As Possible (dès que possible en français)